Passage du 2D au 3D

Ces travaux reposent sur un processus de spatialisation du tableau en surfaces distribuées qui conduisent non plus à représenter le corps en mouvement mais à mettre en mouvement le corps du spectateur.

Les tableaux spatialisés font appel au dispositif de l’installation.

La première installation que j’ai réalisée date de 1990 et s’intitule Espace Pictural : il s’agit de huit panneaux d’altuglas peints avec des encres sérigraphiques transparentes et brillantes, répartis à égale distance les uns des autres, par paires sur quatre niveaux de profondeur, dans le lieu de l’exposition. C’est un jalon important de mon parcours, qui met en œuvre physiquement, de manière tout à fait empirique la mise en espace d’un tableau réel : Dynamique centrale (1989). Cette peinture, peinte à l’acrylique sur papier fait partie d’un ensemble de trois, toutes de même dimension (256 cm x 150 cm) : Dynamique, Dynamique centrale, Dynamique double, suite chronologique de la série des Corps-espace-lumière, dont la technique de base repose sur une superposition de couches empilées sur la toile, qui laisse se creuser dans une zone proche du centre géométrique, une sorte de vide où la matière se fait translucide.

Hexagramme (1994), autre installation réalisant la mise en espace scénique d’un tableau. Il s’agit du tableau Centre-Lumière-Bleu. La spatialisation ne se fait plus de façon empirique, manuelle et physique, mais grâce à l’ordinateur comme outil. L’installation mixe diverses pratiques artistiques : dessin, peinture, traitement de l’image, infographie, aménagement de l’espace, scénographie, éclairages, couleurs, jeux d’ombres et de lumières.

La peinture devient dispositif environnemental qui requiert la participation du spectateur, qui peut la percevoir de plusieurs points de vue, par son déplacement. C’est lui qui devient le corps en mouvement de l’œuvre. Il s’agit de ce que j’appelle un tableau élargi (« expanded painting » en référence à l’« expanded cinema », expression lancée par Stan VanDerBeek et reprise par Jonas Mekas en 1965 dont Gene Youngblood fait le titre d’un livre en 1970). Une différence, cependant existe dans mon travail qui ne relève pas à proprement parler d’un cinéma élargi – qu’un écrivain comme Dominique Noguez a si bien défendu -, c’est qu’il s’agit toujours de peinture et non de projection sur des surfaces-écrans. Le spectateur de cette installation participative peut organiser lui-même les conditions de sa perception en allumant ou en éteignant des néons, de façon collective et ludique grâce à des cellules photo électriques. Cette « participation » du spectateur est le prélude au dialogue interactif avec l’image grâce à la médiation de l’interface qui pousse à s’interroger sur le phénomène de la perception.

Les différents plans continus ou discontinus tirent leur disposition au sol de la structure de l’hexagramme n°52 : Ken, L’immobilisation/la montagne du Yi-King ou Livre des transformations. Cette installation servira de travail préparatoire à la réalisation en 1995, de la première version de l’installation en réalité virtuelle : Centre-Lumière-Bleu.

Avec ces deux installations, basées sur le même principe où la surface plane du support de la peinture (le P.O. de Wassily Kandinsky) est dépliée, déployée, étendue, distribuée et fragmentée en plusieurs strates sur des supports transparents pour former une peinture-environnement, le dispositif spatial rompt la clôture et la fermeture physique de l’espace de représentation sur lui-même d’une surface plane unique. L’idée de procéder à l’extension des couches de peinture me permet de proposer au spectateur-lecteur de l’image, une expérience de l’espace plutôt qu’une représentation de l’espace.